Souriez, vous êtes intermédiés !
150 acteurs se disputent le juteux marché des travaux intermédiés. Face à cette foison d'offres, difficile de trier le grain de l'ivraie. D'autant plus qu'il aura fallu 15 ans pour que cette offre mute... en faveur des artisans.

« L’intermédiation travaux a changé de visage », annonce d’emblée Raphaël Muller, directeur marketing de la Maison Saint-Gobain. Avec pour objectif « d’aider les particuliers qui utilisent internet à trouver un artisan », ses premiers acteurs des années 2000, comme travaux.com ou Keltravo, se sont positionnés comme apporteurs d’affaires. « L’artisan achetait seulement un fichier clients », se souvient Victor Boutelier, cofondateur de Monsieur Peinture. Et le coût n’en valait pas la chandelle.

Misant sur le volume, ces plateformes natives « sont des aspirateurs à demandes de devis. Pour espérer décrocher un chantier, les artisans doivent être hyper-réactifs« , illustre Ara Shahnazaryan, consultant en stratégie et transformation digitale chez Brands at Work. « Mais aujourd’hui, ce business model fondé sur la vente de contacts ne répond plus aux attentes », campe Raphaël Muller.

Depuis 2014, de nouveaux intervenants apportent des contacts qualifiés, du service et des chantiers. À côté de start-up agiles qui ont bousculé ce créneau, à l’image d’Adeo et de sa plateforme Quotatis passée de générateurs de leads à service de pose de l’enseigne Leroy Merlin ou d’Homely You devenu La Maison Saint-Gobain, les grands groupes redéfinissent leur offre ou investissent l’intermédiation travaux par croissance externe. Mais différemment.

Des atouts de l’intermédiation

« Si aucune marque forte ne se dégage encore, l’intermédiation travaux se professionnalise en apportant de la réassurance aux consommateurs sous l’impulsion d’acteurs très connus comme Engie avec MesDépanneurs.fr ou EdF avec Izy by EDF », reprend Ara Shahnazaryan. Mais ce n’est pas le seul vecteur d’accélération. « Restant très urbain, ce marché se développe par internet de plus en plus consulté par les particuliers », précise Raphaël Muller.

Confinements obligent, plus de la majorité des projets travaux démarre par une recherche sur Google. « L’intermédiation a aussi été amplifiée car la crise sanitaire a boosté l’envie d’amélioration de l’habitat et l’usage du digital », ajoute Solenne Xavier, fondatrice et p-dg d’Allo Marcel. Aujourd’hui, cette technologie est la clé pour ouvrir la mise en relation entre le particulier et l’artisan. « Les pros n’ont pas le temps. À 90 % sur les chantiers, ils sont en mobilité. Notre application évite toute rupture entre le consommateur et eux, ce qui va dans le sens de la qualité. De plus, c’est un soutien pour les plus petits artisans qui n’ont pas les moyens d’investir dans cet outillage technologique », précise Anne-Christelle Vogler, directrice clients et opération chez HomeServe France, s’affichant spécialiste des réparations et travaux de la maison depuis deux décennies et qui vient d’acquérir 20 % de Carglass Maison.

L’intermédiation, un nouvel eldorado ? « En tout cas, la valeur ajoutée de ces nouvelles plateformes répond à un réel besoin des consommateurs qui ont une vraie difficulté à trouver le bon artisan », appuie Ara Shahnazaryan. Car, aujourd’hui, encore, faute de le dénicher, une envie de rénovation sur deux portées par des particuliers tombe à l’eau. De plus, elles lèvent de sacrés freins : sécurisation des délais, de la qualité… Et prix brocardés. « Ils sont disponibles sur notre site, à partir d’une grille co-construite avec des peintres partenaires depuis 2016. Nous savons qu’ils sont au plus justes », défend Victor Boutelier.

De quoi faire grincer beaucoup de dents. Certes. Mais transparence et mise en relation efficace évitent le triste record de 50 % de projets avortés. Quand ces plateformes « nouvelle génération » engendrent vraiment du business. Et même sur un plateau d’argent.

Mylkee : le Tinder B to B du chantier

Revendiquant 200 millions d’euros de marché, et plus de 15 000 entreprises dans son réseau, cette plateforme a été conçue pour mettre en relation les professionnels du bâtiment. Une sous-traitance digitalisée avec une appli dédiée à l’appui – Notre chantier – qui repose sur un postulat : qualifier les sous-traitants avant de lancer une consultation de prix peut mener à des partenariats bénéfiques dans la durée. Résultat : ce concept B to B de la plateforme d’intermédiation se pose en acteur de relations qualifiées entre donneurs d’ordre et entreprises de travaux, demandant encore une fois de la pro-activité pour valoriser la mise en contact. Et la transformer en business.

Des chantiers pinceaux en main

« Nous apportons aux artisans toute la structuration de la relation client. Nous les accompagnons dans la conclusion de l’affaire en leur faisant gagner du temps, et en sécurisant la réalisation des travaux du côté des clients », reprend Solenne Xavier. Preuve que ça marche : lancé en 2014, Allo Marcel peut peser jusqu’à 30 % dans le chiffre d’affaires de ses affiliés et entame aujourd’hui une phase d’expansion sur tout le territoire.

Monsieur Peinture, aussi en phase de recrutements pour absorber une forte demande, arbore le même credo. « Nous sommes du pain béni, illustre Victor Boutelier. Pour des chantiers simples, nous envoyons les photos, un descriptif, et un devis déjà réalisé. Si l’artisan accepte l’affaire, nous lui réservons une date avec le client. »

Les gros travaux ne sont pas en reste. À l’instar de la start-up française Hemea avec TravauxLib, estampillée chantiers complexes et accompagnement complet : assurance spécifique, compte séquestre pour rémunérer l’entreprise une fois le chantier clôturé, et même conseils d’architecte. Un service, en plus, que lorgne aussi La Maison Saint-Gobain positionnée sur un accompagnement travaux de A à Z. En attendant, cette plateforme muscle son offre. Pour entrer dans le cadre des laborieuses subventions étatiques – MaPrimeRénov’ ou dispositifs CEE – en soutien du marché de la rénovation énergétique aux alléchants 14 Mds d’euros de travaux par an, « nous proposons aux particuliers comme aux professionnels de gérer tout le volet administratif jusqu’au paiement des aides. Nous soulageons l’artisan RGE* de la complexité de ces dossiers et de l’avance de trésorerie qu’il propose aux particuliers. Ils n’ont plus besoin de mobiliser de fonds », dévoile Raphaël Muller.

Avec en plus l’objectif de faire monter ces pros en compétences grâce aux synergies du groupe Saint-Gobain, capable de proposer de la formation idoine. On est bien loin de la simple génération de leads pour collecter des devis.

Pas d’ubérisation en vue

Reste que la Fédération française du bâtiment (FFB) en tête, – la Capeb s’étant lancée dans la course avec sa plateforme 360travaux.com – et les organisations professionnelles agitent le foulard rouge : celui de l’ubérisation des travaux. Or, même si une arrivée d’Amazon gronde au-dessus de ce marché selon le cabinet d’études B to B Xerfi**, l’Uber du chantier ne s’est pas encore déclaré. Et en attendant, tous désacralisent cette menace. « Nous ne sommes ni plus, ni moins que du bouche-à-oreille digitalisé », rassure Victor Boutelier.

Finalement, ces plateformes ne font que mettre en ligne, en l’agrégeant néanmoins de services qualitatifs, la recommandation d’un artisan à un particulier comme le pratique le négoce depuis toujours, le copain, le collègue, le voisin. « Que met-on derrière la notion d’Ubérisation ? interroge Anne-Christelle Vogler. Pour les travaux lourds, avant d’intervenir chez le client, l’artisan sécurise son chantier avec nos équipes dédiées à Lyon. Pour des travaux simples, récurrents, au diagnostic vite établi, donc générateurs de volume, il y a une capacité à développer des modèles très digitaux avec un mécanisme gagnant-gagnant. »

À l’image de la start-up MesDépanneurs.fr, désormais dans le giron de l’offre de services d’Engie, qui instaure cette offre de missions attitrées à des pros dès 2016 et à tarif fixe. Si les professionnels du bâtiment les redoutent***, les plateformes l’intègrent sans complexe. Et pour cause. Premier niveau de services pour les particuliers chez Allo Marcel, « changer un joint, ouvrir une porte… Ces petits dépannages de moins d’une heure sont complètement automatisés et proposés aux pros les plus proches par des push sur SMS. Ceux positionnés sur cette offre réalisent entre cinq et dix affaires par semaine », reprend Solenne Xavier.

Mais ce business se fonde uniquement sur le volume et la réactivité, « il séduit surtout les auto-entrepreneurs. » Conséquences : c’est le deuxième niveau de prestations qui vise les artisans chez Allo Marcel. Celui des rénovations bordées et qualifiées pour lui comme pour le particulier – architecte compris si besoin – des travaux pour des crèches, des commerces, et même des contrats de maintenance et d’entretien des équipements d’enseignes comme Exki, spécialisée dans la restauration rapide haut-de-gamme, par exemple.

En plus d’apporter la promesse de chiffre d’affaires supplémentaire aux artisans, si le besoin et l’envie se profilent, ces plateformes ouvrent aussi aux contrats longue durée. Et encore une fois, clés en main. Quand on vous dit que l’intermédiation travaux a changé de visage…

Qui propose quoi ?

– Monsieur Peinture

Adhérents au service : 300 en activité, 700 en cours d’intégration. Recrutement : artisans tous corps d’état par candidature spontanée et via le réseau Cromology (Tollens/Zolpan). Sélection : en majorité sur recommandations par le réseau Cromology avec charte et contrat qui lient sur l’engagement de la bonne qualité des travaux. Rémunération : commission sur le chantier réalisé, de 10 % à 20 % selon le niveau de préparation effectuée en amont par la plateforme (chiffrage et devis déjà effectués à distance pour un chantier prêt à réaliser).

– Allo Marcel

Adhérents au service : 750 sur tout l’Île-de-France, Lyon, Bordeaux, Nantes et Lille et leurs régions. En cours de recrutement sur le Pays basque, le sud et le Grand Est. Recrutement : candidatures spontanées et cooptation. Sélection : fourniture du Kbis, des attestations d’assurances décennale et responsabilité civile, régularisation fiscale et sociale, mais aussi coordonnées de trois anciens clients qui seront appelés. Rémunération : 25 € de commission pour les dépannages express facturés 120 € au client. Entre 10 % et 15 % sur les chantiers à moins de 3 000 €. 10 % au-delà et négociations au cas par cas pour les chantiers de plus de 20 000 €.

– La Maison Saint-Gobain

Adhérents au service : 2 000 intégrés et 2 000 en cours de recrutement. Recrutement : artisans des enseignes du groupe Saint-Gobain : Point.P, Cedeo, Dispano, Asturienne, etc. Sélection : artisans déjà identifiés et reconnus via les enseignes du groupe. Une étape administrative intervient ensuite. Puis vérification des assurances auprès des compagnies fiables listées par La Maison Saint-Gobain. Montant moyen des chantiers : 10 000 € fourni/posé. Rémunération : commission de 5 % si le chantier est signé.

– Home Serve

Adhérents au service : 4 000 pros avec objectifs de recrutements de 10 % par an. Recrutement : par la compétence maîtrisée et le bouche- à-oreille. Des responsables de secteurs en région vont faire du maillage et aller chercher des compétences généralistes ou des corps de métiers spécifiques sur les standards de qualité HomeServe comme l’intervention maximale en une heure, et en une fois pour les travaux de dépannage. Sélection : le client doit être en tout point satisfait. Le parcours est monitoré et un système de notations par le client. Rémunération : NC.

* Reconnu garant de l’environnement.

** La dynamique des plateformes et réseaux d’intermédiation en travaux à l’horizon 2022, étude de Xerfi parue le 19 novembre 2020. 160 pages, 1980 ¤ HT.

*** D’après une enquête de la FFB et Batiactu réalisée en 2017 auprès de 1 330 professionnels, plus de la moitié considèrent les plateformes comme un danger pour leur profession.

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