Arnaud Labessouille : « Être chef d’entreprise à 29 ans, oui, j’en suis fier »
Arnaud Labessouille a réussi un tour peu commun : à moins de 30 ans, il a repris l'entreprise de plomberie de son patron... tout en le gardant comme employé ! Une histoire qui en dit beaucoup de l'importance de la transmission.

Comment s’est passée la transmission de l’entreprise ?

Progressivement, et donc de manière assez idéale. Ça ne m’est pas venu comme ça un matin : nous en discutions depuis longtemps déjà avec mon patron, M.?Richard Orti, qui avait repris la société des mains de son père, lui-même l’ayant héritée de son propre père. L’entreprise existe depuis 1949, et c’est la plus importante de la région castraise. Moi, j’y suis depuis mes dix-huit ans !

Quelle formation aviez-vous ?

Un parcours classique de lycée professionnel : d’abord à Castres, au lycée le Sidobre, puis à Rodez, au lycée professionnel Alexis Monteil. Un bac pro chauffage, sanitaire, énergie, climatisation… c’est la base. Mais les dix années qui ont suivi mon entrée dans l’entreprise une fois mon diplôme en poche ont été, à bien y regarder, un parcours continu, depuis le début, vers là où j’en suis aujourd’hui : au départ on se met à évoquer avec le patron les améliorations à apporter à la boîte, puis on s’y intéresse de plus en plus… et fatalement, au bout d’un moment, on a envie de les appliquer soi-même !

M.?Orti, lui, ayant passé trente ans à la tête de la société, il était normal qu’il ne voie plus les choses de la même manière que moi. Et puis en progressant dans la cinquantaine, il avait envie de commencer à dételer. Lui aussi cherchait donc une sortie progressive de son activité, sans arrêter tout à fait, et de mon côté il faut quand même avouer qu’il est toujours impressionnant de se lancer : donc les deux mouvements se sont imbriqués, pour le mieux.

Au final qu’il devienne votre employé était la solution idéale…

Exactement, et même si ce n’est pas courant, ça devrait l’être ! D’autant plus qu’il n’avait pas envie de céder son activité à quelqu’un qu’il ne connaît pas, ou à une grande boîte sans âme… L’affectif, c’est important aussi pour quelqu’un qui approche l’âge de la retraite et qui s’est investi. Et ce n’est pas valable seulement pour le patron : ici, beaucoup d’employés ont vingt ou trente ans de maison, et eux aussi contribuent à ce que le passage de témoin soit une réussite.

Il y a toujours un moment, que ce soit sur le terrain ou dans les bureaux, où j’ai besoin de savoir un petit « ?truc? » qui va permettre de débloquer une situation, une astuce qu’eux connaissent et qu’on ne vous apprend pas dans les livres. Aujourd’hui encore, on débriefe chaque soir avec M. Orti, et on visite aussi les chantiers ensemble. Et je n’ai pas rayé son nom des logos : simplement, la société s’appelle désormais Orti-Labessouille.

Apparemment le courant est tout de suite passé?

Oui, et c’est très important. Dès le début, un des employés m’a formé pour le dépannage des chaudières – et d’ailleurs, quand des particuliers voyaient ce gamin de vingt ans tripoter les entrailles de leur appareil, ils n’étaient pas forcément rassurés ! Mais ça aussi, c’est de la transmission. Et c’est comme ça que j’ai pu, dix ans après, à moins de trente ans, me retrouver chef d’une entreprise de plomberie-zinguerie, et j’avoue que quand je rentre chez moi le soir et que je pense à la journée que je viens de passer, j’en suis fier.

D’autant que ce n’est pas seulement une gestion des acquis : j’ai toujours voulu faire avancer la boîte, pour la faire grandir. Il ne faut pas oublier que pour racheter la société, j’ai dû faire des sacrifices : vendre ma voiture, ma moto… Heureusement, j’ai aussi été aidé par ma famille.

Qu’avez-vous apporté comme nouveautés ?

Rien que la numérisation, c’est énorme. Depuis les années cinquante, tout était resté uniquement sur papier : les archives, les plannings… Or ça prend beaucoup plus de temps à utiliser au jour le jour qu’une organisation numérisée. Enfin, au début, c’est numériser qui suppose de perdre du temps : il a fallu prendre les piles de paperasses et tout recopier, tout entrer dans les ordinateurs… On a repris toutes les archives depuis 1949 !

Et ça valait la peine ?

Ça, c’est sûr qu’après, le gain est évident. Une fois que chaque employé dispose du planning sur une appli de son smartphone, on n’a plus besoin de passer mille coups de fil par jour pour les tenir au courant, les envoyer ici ou là, leur apprendre qu’il y a une urgence chez quelqu’un, leur dire que finalement la chaudière n’est pas de tel modèle mais de tel autre et que donc il faut telle pièce ou tel outil…

Aujourd’hui, un des employés qui termine une intervention à quinze kilomètres du siège de la société, qui est dans le centre de Castres, peut voir d’un seul coup d’oeil qu’une urgence vient de rentrer dans nos tablettes, et que ça se trouve justement sur son chemin. D’un clic, il la prend sur lui. Ça va plus vite pour le client, et nous, ça nous évite un travail énorme et épuisant !

C’est de la rationalisation…

Oui, et même si ça paraît peu, à la fin de la journée ces quelques minutes gagnées ou perdues, accumulées, peuvent faire que votre entreprise bascule dans le vert ou dans le rouge. Nous concernant, le bénéfice est très visible : je n’ai repris l’entreprise qu’à l’automne dernier, et même si tous les logiciels ne sont pas encore terminés et fonctionnels, les quelques changements que j’ai impulsés nous ont déjà allégés la tâche et, surtout, permis d’embaucher.

En six mois, nous sommes passés de cinq à neuf personnes, et j’embaucherai bientôt le dixième. L’entreprise était autrefois plus importante : c’était même une boîte historique de la région, avec des gros marchés comme la plomberie de l’ancienne piscine de Villegoudou, la succursale de la Banque de France, ou encore les abattoirs. Dans les années 80 et 90, l’entreprise était montée à presque une vingtaine de salariés, avant de devoir hélas réduire la voilure.

Je suis content de pouvoir aujourd’hui commencer à la redéployer. Jusqu’ici, dans le département, il n’y avait que de toutes petites entreprises ou bien de très grandes. Désormais, je suis en train de faire repasser la nôtre dans la catégorie de l’entre-deux.

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