Étienne Gay (Briques Technic Concept) : « La brique en terre crue, c’est le matériau idéal contre le changement climatique « 
C'est par hasard qu'Étienne Gay a rencontré la terre crue, matériau millénaire, et qu'il en a fait des briques pour ses chantiers de la région toulousaine. Ce matériau écologique et résilient séduit désormais de nombreux architectes, qui font appel à sa petite entreprise spécialisée.

Quel est votre parcours d’entrepreneur ?

Étienne Gay : Je viens de l’aéronautique. J’ai suivi une formation de dessinateur industriel, avant d’occuper un poste de logistique-achats dans une grande entreprise aéronautique. Ce travail ne correspondait plus à mon changement d’éthique et à mes convictions écologiques, et le mode de management ne me convenait pas. Je souhaitais réorienter mon activité vers le bâtiment durable.

À quelle occasion vous êtes-vous intéressé à la brique en terre crue ?

J’ai découvert la brique à travers une formation à l’architecture en terre crue. Cette formation de huit semaines organisée par la société Metallica, à Roumegoux, avait pour objectif d’utiliser d’anciennes techniques de construction pour concevoir un bâtiment. Il s’agissait de faire rentrer de la terre, d’en faire des briques à l’aide d’une presse à main et de construire.

Après seize jours de formation théorique, qui nous a permis de nous former à ces techniques, nous avons construit un pigeonnier. La plupart des stagiaires étaient des maçons traditionnels qui voulaient apprendre à maçonner la terre. Il y avait aussi quelques concepteurs et des architectes qui souhaitaient mieux comprendre le matériau.

Comment vous êtes-vous lancé dans votre propre activité ?

C’est la curiosité qui m’a poussé à participer à cette formation. Je me suis vite rendu compte que c’était cela que je voulais faire ! En 2012, j’ai décidé de m’installer comme autoentrepreneur. Les banques ne me suivaient pas, l’assureur me prenait pour un fou, car le marché de la brique crue n’entre pas dans des normes et est difficilement mesurable.

Ce statut d’autoentrepreneur était pourtant le meilleur format pour tester et comprendre mon marché, jusqu’à ce que puisse basculer en société. On s’est retrouvé à passer d’une gestion de bon père de famille à une gestion de start-up, notamment dans la phase d’accélération avec un chiffre d’affaires bas et une masse salariale importante.

De quelle manière avez-vous organisé la production ?

La production manuelle était limitée, car il fallait être au moins deux ou trois à la production. De plus, il était impossible de fabriquer suffisamment de briques par jour pour les vendre à un prix accessible. J’ai acquis en 2012 une machine venant des USA repérée sur Internet, et acheté un godet mélangeur et une tractopelle.

Ce dispositif m’a permis de produire seul 1 000 briques par jour, de pratiquer un prix plus bas que ce qui était sur le marché et de démarquer l’activité. J’avais un contrat important qui m’a permis de mettre l’entreprise en route.

Quel était ce premier projet ?

Après avoir réalisé beaucoup de cloisons dans des maisons conçues par des éco-constructeurs ou des garages, j’ai été sollicité pour le chantier du pôle culturel L’Aria à Cornebarieux, l’une des communes autour de Toulouse. La terre crue a été utilisée à la fois en parement extérieur pour l’esthétique et également pour l’auditorium (portance, acoustique et esthétique).

C’est un matériau lourd mais qui garde une certaine souplesse par rapport à du béton et renvoie moins le son. Ce chantier mené par le cabinet d’architecte Philippe Madec à Paris, auteur du « Manifeste de la frugalité », m’a permis d’avoir une visibilité auprès d’autres architectes qui souhaitaient faire ce type de projets.

Quels sont les avantages du matériau brique crue ?

Ce matériau est millénaire. La terre crue a un bilan carbone très faible, car elle consomme très peu d’énergie et convient à la plupart des ouvrages de construction d’aujourd’hui, notamment pour les murs et les cloisons. La terre cuite est intéressante pour les toitures et les sols, car elle offre une meilleure résistance à l’abrasion, mais son bilan carbone est beaucoup plus élevé, puisque la cuisson représente 80?% de son coût.

Les usages de la terre crue sont très larges, cela va de la maison individuelle aux résidences d’une vingtaine de logements sur deux ou trois étages, soit en cloisons séparatives soit en murs de refends. Quand on utilise de la terre crue, on n’obtient pas qu’un mur porteur, mais aussi une isolation acoustique, hydrique (capable d’offrir le bon niveau d’humidité dont le corps à besoin), calorique (avec absorption et restitution lente, comme une bouillotte).

Pourquoi ce matériau suscite-t-il un tel intérêt ?

Parce que la terre crue est la meilleure solution contre le réchauffement climatique, notamment en termes de confort d’été ! C’est un matériau qui a plus de qualité que les autres, y compris au niveau de la santé (bactéricide, odeurs) et sur le plan esthétique. Ce qui est intéressant avec la terre crue, c’est que c’est un matériau recyclable. Soit on apprend à déconstruire, soit, si on prend le parti de démolir, on récupère le matériau pour reconstruire des briques avec, ou on les laisse fondre sous la pluie pour qu’elles retournent à la terre. Dès lors qu’elle n’est pas stabilisée avec un liant, la terre crue est recyclable à l’infini.

Quelles sont les solutions qui vous ont permis de vous développer ?

En 2015, je souhaitais obtenir une meilleure qualité de briques, j’ai donc cherché à trouver une nouvelle machine pour les fabriquer. Comme je ne la trouvais pas, j’ai repris ma casquette de dessinateur industriel pour concevoir ma propre machine, la Flexiter, en essayant de regrouper sur une seule machine tout ce que je trouvais intéressant sur les différentes machines que j’avais pu tester : rapidité, efficacité… C’est un prototype qui a dix ans d’avance et qui est capable de fabriquer jusqu’à 4 000 briques par jour.

Mon équipe et moi-même continuons à travailler sur cette machine, que j’ai fait évoluer il y a quelques mois. La nouvelle version aura aussi dix ans d’avance, nous en serons le premier client, mais nous avons déjà des demandes de personnes qui souhaitent s’installer en fabrication de briques en terre crue et qui seraient prêtes à acquérir cette machine. L’objectif de notre unité mobile Flexiter est d’automatiser au maximum les paramètres humains pour que la machine soit plus fine que nous et soit capable de s’autocorriger pour garantir systématiquement des briques de bonne qualité, à partir du moment où l’on maîtrise la qualité de la terre en amont.

Comment avez-vous pu financer ces investissements ?

Dans la mesure où nous avons changé de dimension en devenant équipementier, nous avons sollicité la BPI pour un accompagnement en innovation. Puis nous avons obtenu l’appel à projets BEC BTP Ademe, qui nous permet de passer dans la phase de développement et d’expérimenter. Cet appel à projet a donné un coup d’accélérateur en marketing et en communication, et cette mise en avant nous a conduits à rencontrer de nombreux acteurs.

Les majors du bâtiment français observent le développement de notre activité avec intérêt et sont venus nous rendre visite, car nous ajoutons une corde à leur arc en apportant des solutions aux déchets qu’ils ne savent pas gérer comme la terre et les boues de lavage. Récemment, la transformation de notre entreprise en SAS début avril a contribué à faire rentrer nos premiers actionnaires et à solliciter notre première levée de fonds, dont l’objectif est d’être capable d’anticiper en prévoyant une machine de plus, et de contribuer à construire une filière de production nationale de brique de terre crue, dont nous sommes malgré nous leaders nationaux aujourd’hui.

Votre modèle économique a-t-il évolué ?

Oui, on ne nous demande plus seulement de fournir la brique, mais de plus en plus de faire de la production nomade, d’accompagner les maîtrises d’oeuvre. La matière même du chantier peut devenir une brique. Nous transformons cette ressource directement sur le site ce qui permet d’éliminer le transport. Nous intervenons pour la fabrication du matériau que nous commercialisons au maçon qui va faire le chantier. Cela nous conduit à faire de la formation, de la prescription et de l’accompagnement.

Comment garantissez-vous la qualité du matériau ?

Nous nous appuyons sur le savoir acquis depuis la création de l’entreprise. Nous avons mis au point dans notre laboratoire interne des méthodes d’analyse pour identifier la ressource, ce qui permet de savoir si on peut utiliser la terre du site, la corriger en ajoutant un peu d’argile ou de sable ou la stabiliser en ajoutant de la chaux. Nous menons des analyses de faisabilité pour déterminer le type de briques par rapport au degré de résistance pour tel bâtiment.

Sinon, à partir d’un projet de bâtiment, nous déterminons si la brique est faisable à partir de la terre du site. Pour l’instant, 100?% de notre production est réalisée en interne. L’année prochaine, nous produirons 80?% en volume en extérieur, ce qui représentera 60?% du temps de production.

Existe-t-il une technique de pose spécifique pour la brique en terre crue ?

Non, il n’y a pas de grosse différence avec la pose de la terre cuite, à part le mortier et certains détails, comme éviter de la taper avec un marteau. Cela nécessite de changer un peu les habitudes en posant les briques plutôt deux par deux, que par dix. Les maçons diplômés peuvent le faire, ils trouvent vite le coup, ce n’est pas sorcier ! Les artisans qui ont goûté à la terre ont pris plaisir à la travailler, et ils ont la satisfaction en fin de journée d’avoir obtenu un beau résultat. C’est un produit plus doux au toucher, moins abrasif et rugueux, qui semble plus naturel.

De plus, le mortier de terre, c’est sympa pour les mains. Nous sommes prêts à aider tous les artisans qui souhaiteraient produire leurs briques sur le chantier, mais pour l’instant nous n’avons pas la machine à coût accessible (25 k¤ contre 150 k¤).

Vous considérez-vous encore comme un artisan ?

À l’époque à laquelle je me suis lancé, la niche était exiguë. Désormais, je reçois des coups de fil pour des projets à horizon 1 an 1/2 à 2 ans. La brique en terre crue se développe, même si elle reste marginale, c’est la raison pour laquelle nous avons vocation à la penser à une échelle industrielle pour qu’elle se démocratise. Je me sens un artisan par rapport à mes compétences et au savoir acquis, mais aussi par le fait de transmettre. Même si on va davantage vers une industrialisation de ces savoirs, pour avoir des process réguliers et homogènes.

Repères

SAS Briques Technic Concept

Activité : Fabrication de briques en terre crue

Localisation : Graulhet (Tarn)

Dirigeant : Étienne Gay, 35 ans

CA 2020 : NC

Effectif : 2 personnes à la fabrication, et 7 sur l’activité

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