[Enquête] Recrutement : adaptez vos pratiques pour attirer de nouveaux talents
La reprise de l'activité dans le bâtiment coïncide avec l'existence de tensions sur le marché de l'emploi. Pénurie de main-d'oeuvre qualifiée, attentes différenciées des candidats et des recruteurs, l'évolution des comportements incite les artisans du bâtiment à repenser l'étape du recrutement.

« Urgent CDI. Entreprise artisanale du BTP recherche ouvrier qualifié« . Il n’est plus rare de voir ce type d’annonces envahir les salons pour l’emploi, les sites de recherche dédiés ou les réseaux sociaux. Le marché de l’emploi fait face depuis quelques mois à des tensions patentes. « Il y a un problème de pénurie de main-d’oeuvre criant, constate, fataliste, Julien Berthias, secrétaire général de la FFB du Maine-et-Loire. Les plus concernés sont d’abord dans la maçonnerie et le gros oeuvre, ainsi que dans la couverture et la finition.« 

Un constat régional étayé au niveau national. Plus de 60 % des PME et 40 % des entreprises artisanales déclarent avoir des difficultés croissantes de recrutement à la mi-mars 2018, d’après la FFB. Du jamais vu depuis dix ans. Pour le président de la Capeb, Patrick Liébus, la situation est inquiétante. « Nous sommes face à un redémarrage de l’activité. Nous essayons d’embaucher à nouveau mais nous ne trouvons pas de salariés. » Une situation pourtant paradoxale à l’heure où le taux de chômage demeure très élevé, à plus de 8,9 % au dernier trimestre 2017 (Dares).

D’autant que si l’activité générale du secteur est à la hausse depuis 18 mois, les perspectives de croissance incitent les dirigeants d’entreprises à embaucher pour faire face à l’augmentation de leurs carnets de commandes. En témoignent les 13 200 créations d’emplois dans la construction au dernier trimestre de l’année 2017, contre seulement 2 500 sur la période précédente. Sur l’année, le constat est particulièrement visible. En hausse de 2,3 %, une telle accélération de l’emploi n’a pas été vue depuis 2008, selon l’Insee.

Un problème de compétences

Malgré des intentions d’embauches plus franches, la pénurie de main-d’oeuvre semble relever à la fois de causes conjoncturelles et de problèmes d’orientation. « Beaucoup de jeunes arrivent sur le marché du travail mais ne sont pas forcément dans les branches qui recrutent« , déplore Patrick Liébus qui parle d' »un trou d’air dans le système de formation« .

Une inadéquation de l’offre et de la demande renforcée par des tensions logiques sur les recrutements en période de croissance. Mais, pour Julien Berthias, « le problème concerne principalement les métiers opérationnels, les plus demandés« . Une peine éprouvée par les gérants de La Champenoise, une entreprise de plomberie-chauffage à Yerres (Essonne). « On est face à des jeunes qui ne souhaitent plus travailler sur les chantiers. Ils cherchent de la qualification pour être dans les bureaux« , témoigne Thierry Norroy qui vient de passer la main de l’entreprise d’une dizaine de salariés à son fils, Jérôme.

« Quand on recrute un candidat,
c’est le savoir-être et le comportement face au client qui priment. »

Un déficit de profils renforcé par une déconnexion des candidats avec les réalités du terrain. Un problème de comportement déploré par le dirigeant : « De plus en plus de candidats ne sont plus assez compétitifs pour le salaire demandé. Le souci, c’est qu’ils sont motivés par autre chose que le travail. » Un constat dans lequel émerge surtout la notion de savoir-être. Dans un rapport, Morad Ben Mezian, expert formation et emploi à France Stratégie, analyse le bâtiment comme un secteur à part : « Les employeurs recherchent en priorité des personnes rapidement opérationnelles et qui acceptent les conditions de travail sur les chantiers. […] Les qualités en termes de savoir-être (être travailleur, courageux, disciplinés, etc.) sont les plus importantes. »

Patrick Liébus (© Marc Bertrand)

Patrick Liébus (© Marc Bertrand)

Un point essentiel pour Yannis Borjon-Piron, gérant de la plâtrerie éponyme à Trélazé (Maine-et-Loire) : « Quand on recrute un candidat, c’est le savoir-être et son comportement face au client qui priment. Pour les compétences techniques, on a des moyens internes de formation. » Une problématique rencontrée par Karine Guérin, responsable RH de GH Energies, une entreprise de plomberie et électricité de neuf salariés, à Saintes (Charente-Maritime) qui dispose de quatre postes à pourvoir depuis plus de six mois pour répondre à la demande. « On a pris beaucoup d’intérimaires mais ce type de profil a des limites. Le coût financier est trop lourd et le manque d’investissement flagrant. L’engagement n’est pas le même qu’avec un salarié sous contrat« , regrette-t-elle.

Une situation loin d’être anodine. D’après Pôle Emploi, 96,5 % des entreprises déclarant avoir du mal à recruter font état de difficultés liées directement aux candidats. Pire, dans le bâtiment, une entreprise sur deux déplore l’indisponibilité d’une main-d’oeuvre compétente. Plus qu’un manque de candidats, c’est davantage un manque de compétences qui affecte le secteur. Un constat qui interroge : les recruteurs seraient-ils devenus trop exigeants ?

Changer les pratiques

Il n’empêche, les pratiques de recrutement des professionnels du secteur commencent à évoluer face à des attentes de candidats différenciées. Tandis que la mutation du monde du travail amplifie le phénomène de mobilité professionnelle, les dirigeants ont tout intérêt à faire évoluer leurs méthodes d’approche. « Il y a un changement total de comportement des salariés aujourd’hui qui nécessite une adaptation des entreprises. Un collaborateur ne reste plus toute sa vie dans la même structure« , assure Julien Berthias. France Stratégie incite d’ailleurs les entreprises du bâtiment à davantage structurer leurs ressources humaines et mieux identifier le potentiel des?candidats.

« Il y a besoin de travailler une nouvelle approche
en mobilisant son réseau ou en allant chercher le candidat dans les entreprises. »

Un besoin de repenser la procédure de recrutement partagée par Pascal Brunet, responsable du développement de JobArtisans, un portail d’intermédiation entre demandeurs d’emploi et artisans : « Les demandeurs d’emploi sont moins nombreux sur le marché ouvert. C’est quelque chose de plus en plus récurrent. Il y a besoin de travailler une nouvelle approche en mobilisant son réseau, d’aller chercher le candidat dans les entreprises« , conseille-t-il. L’émergence de sites spécialisés dédiés à la recherche de profils spécifiques a donc fait évoluer les pratiques. « Nous étions à la recherche de candidats motivés avec une expérience solide et vérifiée par un tiers« , expose un utilisateur de la plateforme pour qui le coût d’accès à la prestation est très largement compensé par la possibilité d’assurer des chantiers supplémentaires.

Mais tous ne fonctionnent pas ainsi. L’entreprise La Champenoise dispose, par exemple, de son vivier de candidats avec les Compagnons du Devoir. Une valeur sûre des profils recrutés qu’elle complète sporadiquement avec des candidatures spontanées. « On ne va plus chercher les gens individuellement, on attend qu’ils nous contactent, affirme Thierry Norroy. Au lieu de considérer leur CV, on leur fait passer un test pratique de réparation et de dépannage. C’est le meilleur moyen de se rendre compte de l’intérêt et du potentiel d’un candidat.« 

Pour attirer d’éventuelles cibles, encore faut-il que le poste à pourvoir s’inscrive dans une optique de long terme. « Les CDD sont relativement rares, fait savoir Yannis Borjon-Piron, qui gère 18 salariés en CDI. Quand on a un besoin ponctuel, on opte pour l’intérim.« 

Rémy Loseto (capture d'écran/France 2)

Rémy Loseto (capture d’écran/France 2)

 » Les escape games permettent une autre approche des candidats  »

Rémi Loseto s’est laissé tenter par une méthode de recrutement un peu particulière. Aidé de Pôle Emploi, le dirigeant de deux entreprises de plomberie-chauffage a remplacé les entretiens formels par une journée d’escape game. « J’avais besoin de quatre à six personnes pour mes deux sociétés. Je cherchais des gens dégourdis, qui sortent du lot et que je formerais par la suite« , explique-t-il, séduit par le concept et la médiatisation du programme.

Après une journée à observer six candidats résoudre des énigmes pour s’évader de la pièce dans laquelle ils sont enfermés, il jette son dévolu sur deux d’entre eux qu’il embauche dans la foulée. « L’idée était de trouver des personnes avec des qualités et des compétences différentes de celles demandées habituellement. Ça permet une autre approche des candidats, dit-il. L’autonomie, l’adaptation, la polyvalence, la réflexion, le comportement en équipe sont des traits dont on a besoin. Notre métier n’est pas seulement manuel.« 

© Sebastien Jarry / Andia.fr

© Sebastien Jarry / Andia.fr

Charge ensuite à lui de former les nouveaux. « Ils sont en formation pendant deux mois, puis ils passeront une qualification QualiBois et je serais capable de leur donner un autre statut, précise le patron. C’est coûteux, mais l’objectif est de les fidéliser très vite à l’entreprise. » Aujourd’hui, Rémi Loseto se dit convaincu par le procédé. « Je recommencerai si j’ai de nouveaux besoins« , assure-t-il.

Repères :

Raison sociale : SARL Loseto Énergies et ENR Distribution
Activité : Plomberie, chauffage B to C et B to B
Siège social : Richebourg (Pas-de-Calais)
Année de reprise: 2007-2008
Dirigeant : Rémi Loseto, 33 ans
Effectif : 10 salariés par entreprise
CA 2017 : 1,5 M€ consolidé

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