Un salarié de l’entreprise SOE Stuc & Staff équipé d’un exosquelette lors d’une opération de ponçage sur un plafond.
Face au développement des maladies professionnelles et à la résurgence des questions relatives à la pénibilité, les robots d'assistance physique s'affichent comme une solution de prévention adaptée au bâtiment. Qu'en est-il vraiment ?

Le chantier de demain sera-t-il envahi par la robotique ? Si une telle situation paraît encore lointaine, il y a fort à parier que le secteur du BTP voit se développer davantage de solutions robotisées. Destinées à diminuer la pénibilité du travail, de nouvelles technologies d’assistance physique font leur apparition.

Exhauss

Exhauss

L’exosquelette est un équipement d’assistance physique qui vient aider au port de charges lourdes.

Initialement dévolus à une utilisation militaire ou industrielle, exosquelettes, ergosquelettes, bras articulés, ou autres « cobots » pour robots collaboratifs voient leur utilisation élargie au secteur du bâtiment. Correction des gestes et des postures, soutien au port de charges lourdes ou diminution des troubles musculosquelettiques (TMS), ces équipements innovants se présentent comme les futurs compagnons de travail des ouvriers du bâtiment.

Une direction dans laquelle s’est engagée l’entreprise Gobio ­Robot. Installée à Carquefou en Loire-Atlantique, la société de Benoît Sagot-Duvauroux conçoit des solutions adaptées au bâtiment. « On s’adresse à une quantité très importante de métiers confrontés aux TMS, dont le BTP. L’ergosquelette vise à diminuer la pénibilité liée à une posture alors que l’exosquelette vient aider au port de charges lourdes« , présente le dirigeant qui note que « ce marché est aujourd’hui à l’étape embryonnaire mais qu’il est amené à grandir sous l’impulsion de la demande« .

Dans une étude prospective de 2015, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) met en avant deux hypothèses favorables à l’émergence des robots d’assistance physique (RAP) à l’horizon 2030. Alors que la première évoque une utilisation limitée aux grands groupes, la seconde considère que « le coût financier et moral des accidents du travail et des maladies professionnelles incite les entreprises (du BTP, NDLR) à utiliser les RAP soit en location, soit à l’achat« .

Alléger certaines tâches

Un enjeu d’avenir particulier pour l’Institut de recherche et d’innovation sur la santé et la sécurité au travail (IRIS-ST). « L’entreprise artisanale n’est pas mono tâche. Ce type d’équipement peut-il être adapté à une diversité de tâches ? C’est tout l’enjeu« , interroge Mélanie Baumea, responsable technique. Une réalité dont a bien conscience le dirigeant ligérien. « Un artisan aura du mal à faire un investissement qui ne lui servira que ponctuellement. C’est pourquoi le modèle économique pour l’artisanat passerait davantage par la location« , fait-il savoir.

« L’entreprise artisanale n’est pas mono tâche. »

Mélanie Baumea, (IRIS-ST)

Un marché naissant au sein duquel le prix figure comme un frein à son extension. « Il faut compter entre 2 000 et 5 000 euros pour un ergosquelette, tandis qu’un exosquelette coûte jusqu’à 10 000 euros« , prévient Benoît Sagot-Duvauroux. Une somme conséquente pour une TPE.

Néanmoins, les gains de productivité pourraient séduire les professionnels. « L’amortissement de l’investissement [6 000 euros, NDLR] a été rentabilisé en quelques jours« , glisse Bruno Rondet, dirigeant de l’entreprise de plâtrerie SOE Stuc et Staff, qui évoque une cadence ­ quintuplée pour l’étape du ponçage des plafonds. À la tête d’une entreprise d’une cinquantaine de salariés, l’artisan fait figure de pionnier.

Les TMS en première ligne

Première cause de maladies professionnelles dans le secteur du BTP, les TMS forment un des axes de bataille des organismes de prévention et de l’Assurance maladie. À l’instar de l’OPPBTP et des organisations professionnelles qui communiquent sur les mesures de prévention à mettre en place en entreprise, l’Assurance maladie prend le sujet au sérieux alors que 44 000 déclarations médicales ont été recensées en 2015. Un enjeu de santé publique qui pèse lourd sur l’économie française : elles coûtent près de 1 milliard d’euros aux entreprises, selon les chiffres de la Sécurité sociale.

Pour accompagner les entreprises à se saisir des problématiques engendrées par les TMS, l’Assurance maladie a notamment mis en place l’aide « TMS Pros », décliné en un volet diagnostic et un volet financier. Elle propose ainsi un soutien aux entreprises de moins de 50 salariés à hauteur de 50 % des investissements dans la limite de 25 000 euros. « L’objectif est de faire monter en compétence les salariés et inciter les entreprises à se mobiliser sur ce sujet« , explique Thierry Fassenot, conseiller à la direction des risques professionnels de la CNAM.

Il est évident, malgré tout, que certaines activités du bâtiment sont davantage concernées par ces innovations. En 2013, il fait l’acquisition d’un exosquelette pour diminuer la pénibilité qu’engendre le ponçage des plafonds. « Pour les salariés, la pénibilité a diminué de 80 % et leur état physique s’est amélioré. L’exosquelette d’Exhauss permet le maintien des bras et diminue le poids de la ponceuse à supporter« , explique-t-il.

Un bénéfice que les organismes de prévention perçoivent. ­L’OPPBTP­ distingue, en effet, une application positive à l’utilisation des exosquelettes. « Dans les situations pénibles de reprises de plafonds, le gain exprimé par les opérateurs en termes d’effort est de l’ordre de 60 % pour une qualité identique« , confirme Nicolas Froment, responsable de la prévention de l’usure professionnelle au sein de l’OPPBTP.

Scepticisme

Pourtant, un certain pragmatisme prime chez les préventeurs. « Aujourd’hui nous ne sommes qu’à la première génération des exosquelettes, il est encore trop tôt pour dire si ces équipements permettent de lutter efficacement contre les TMS« , relativise l’ergonome de l’OPPBTP.

« Il faut avoir en tête que ces nouveaux outils affectent la représentation qu’un salarié a de son travail et de son métier ? »

Nicolas Froment (OPPBTP)

Une prudence étayée par une étude à paraître de l’organisme et le Syndicat des entrepreneurs de la construction. Les tests effectués ne distingueraient pas d’avantages particuliers aux exosquelettes lors d’opérations de manutention et en usage de porte-équipement. « Sur ces deux champs, nous sommes circonspects« , concède-t-il, évoquant l’existence de contraintes supplémentaires en termes de changements de postures et d’efforts compensatoires. « S’il y a un constat que l’opérateur développe un effort supplémentaire, la technologie ne s’avérerait pas forcément optimale. Aujourd’hui, la compensation posturale avec ce type d’équipement reste importante« , ajoute-t-il.

Il est en effet encore trop tôt pour relever les gains apportés par de tels équipements en termes de diminution de la pénibilité. « Ça participe à alléger les troubles, mais de là à dire qu’il y a un effet positif durable, c’est anticiper« , rebondit Bruno Rondet, pourtant convaincu par son investissement.

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Mélanie Baumea, responsable technique IRIS-ST

Une prudence partagée par Mélanie Baumea pour qui « un effet contre-productif » est à craindre. « Depuis des années, nous nous investissons sur l’importance d’adopter les bonnes postures au travail : il ne faudrait pas que ces innovations viennent faire oublier le travail réalisé« , alerte-t-elle.

Un risque étayé par les éventuels effets indésirables de ces outils sur le rapport au travail des salariés. Un axe que Nicolas Froment n’élude pas. « Il faut avoir en tête que ces nouveaux outils affectent la représentation qu’un salarié a de son travail et de son métier« , juge-t-il. Un enjeu de prévention physique mais également psychologique à considérer.

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