Elles réussissent dans le bâtiment malgré les préjugés
À quelques semaines de la journée de la femme, nous avons souhaité donner la parole à des femmes pas vraiment comme les autres. Chauffagiste, carreleuse, électricienne... elles sont à la tête d'entreprises du bâtiment, et ont toutes une volonté de se faire un nom dans l'univers de la construction.

Nathalie Lafoux avait besoin d’avoir un métier technique dans les mains. Après 15 années de stylisme, elle suit, à 43 ans, une formation en plomberie. C’était en 2006. Près de deux années à bosser dur et à apprendre un métier longtemps réservé aux hommes.  » Lors de mes stages en entreprise, j’ai été confrontée à des commis de chantier qui m’ont obligé à porter des fontes. Il était pourtant possible de réaliser des tâches moins contraignantes, comme la pose du carrelage », confie Nathalie Lafoux.

Une expérience douloureuse qui pousse l’entrepreneuse à se mettre à son compte plus tôt que prévu, en passant par une société de portage salarial afin de tester son activité entre 2009 et 2012.  » Cela m’a permis de percevoir des indemnités chômage, d’identifier une clientèle et d’éviter de prendre, dès le début, une assurance décennale « , poursuit-elle. L’activité étant viable, elle s’est associée à un plombier dépanneur pour créer la SAS les Salles de bains de ­ Nathalie, spécialisée dans la rénovation de salle de bains.

Une source de performance

Cette rage d’entreprendre, Sylvie Berland l’a également connue la quarantaine passée. Cette ancienne directrice commerciale d’une banque décide à 42 ans de reprendre une structure de plomberie et de chauffage.  » La création d’entreprise me tentait depuis bien longtemps. J’ai eu connaissance, grâce à mon réseau personnel, qu’une structure du BTP était à reprendre. Le côté très pragmatique des projets, où l’on assiste à leur évolution et à leur aboutissement, m’a beaucoup séduite », confie-t-elle.

Après avoir suivi un stage de cinq mois au sein de l’Afpa pour acquérir un vocabulaire technique et découvrir les métiers du second oeuvre, elle a donc pris les rênes de l’entreprise Cornet en toute humilité. Un challenge collectif avant tout. « J’ai rapidement fait comprendre à mes 15 salariés que j’avais besoin de leurs compétences techniques pour construire un projet solide », concède Sylvie Berland. Car les changements ont été nombreux et ambitieux. Elle a rapidement organisé différemment l’entreprise. « Beaucoup de salariés occupaient les mêmes postes. J’ai eu rapidement besoin de m’appuyer sur des chefs de chantier. Je les ai donc fait monter en compétences », se souvient Sylvie Berland.

Elle a également créé des binômes.  » Nous avions un marché important de maintenance au sein du CHU de Poitiers. Il f allait donc que l’entreprise fonctionne en cas d’absence d’un ­salarié », poursuit la dirigeante. La chef d’entreprise s’est, par ailleurs, donné pour mission de développer de nouveaux marchés – la clientèle des particuliers, notamment -, et de doubler le chiffre d’affaires de la structure. De 1,2 million d’euros en 2006, il est passé à 2,6 millions d’euros en 2015. L’entreprise a ainsi accueilli 11 salariés ­supplémentaires.

Si elle a fini par céder son entreprise en décembre 2015, pour en créer une nouvelle dans la promotion immobilière, elle poursuit son combat en tant que présidente des Groupes Femmes au sein de la Fédération française du bâtiment (FFB) et consacre son temps à l’organisation de tables rondes. L’occasion de prouver à ceux et celles qui en doutent encore, qu’une femme peut diriger une entreprise et la faire prospérer. « Nous avons autant envie que les hommes, mais nous le faisons beaucoup moins », commente Sylvie Berland.

Une étude KPMG sur la place des femmes à la direction des entreprises publiée en juin 2015 vient corroborer cet état d’esprit (voir ci-contre).

Le goût d’entreprendre malgré des difficultés

Les femmes valorisent autant l’entrepreneuriat que les hommes, mais elles soulignent davantage leur manque de confiance en elles (20 % contre 13 %).  » De nombreuses dirigeantes, n’ayant pas acquis le côté technique des métiers, ont peur de se rendre sur les chantiers. Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas tant la conciliation de vie qui les bloque mais la crainte de l’échec « , constate Pascale Marteau, cogérante de la SARL de menuiserie Marteau, présidente de la Capeb des Deux-Sèvres, et mère de trois enfants.  » En France, 4 % des femmes seraient à la tête d’une entreprise du bâtiment, contre 33 % dans les autres secteurs. Ce taux ne progresse guère depuis dix ans « , s’agace Geneviève Bel, vice-présidente de la CGPME, fondatrice du club Entrepreneuriat au féminin, et membre du Conseil économique social et environnemental (Cese) .

« Il convient de régler un problème économique majeur. Celui des banques, qui restent encore trop frileuses avec les entrepreneuses »

C’est pour briser ce plafond de verre et renverser la tendance que certaines ont pris leur bâton de pèlerin. Elles n’hésitent plus à prêcher la bonne parole. Catherine Foucher, conjoint collaborateur depuis 22 ans d’une entreprise d’électricité basée en Dordogne, est , depuis 2010 , présidente de la commission nationale des femmes d’artisans au sein de la Capeb. Elle a, par ailleurs, été portée en décembre 2015 à la présidence du groupe de l’artisanat au titre de l’Union professionnelle artisanale au sein du Conseil économique social et environnemental Sa mission ? Participer à la définition et l’évaluation des politiques publiques, créer une ambiance de travail, apporter des idées, des analyses et des solutions à d’autres conseillers du Cese.  » Si le fait de confier la direction d’une entreprise du bâtiment à une femme est de plus en plus accepté, certains freins restent présents  » , constate-t-elle.

Catherine Foucher en identifie un principalement :  » Les femmes éprouvent des difficultés à passer outre l’éducation et l’orientation scolaire. Trop de professeurs restent dans des clichés  » , estime-t-elle. Pour Geneviève Bel, au-delà d’un environnement socioculturel délétère (poids des préjugés générateurs d’autocensure, filière de formation initiale), il convient de régler un problème économique majeur. Celui  » des banques, qui restent encore trop frileuses avec les entrepreneuses  » .

Commentaires

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *